Paul Poiret - INHA - Institut national d'histoire de l'art (2025)

Sous les coupoles a maintes fois traité de la figure fondatrice de Jacques Doucet et de la présence de l’histoire de la mode et du vêtement dans les collections courantes et patrimoniales. Nous vous proposons aujourd’hui un portrait de Paul Poiret (1879-1944). Avant de devenir l’un des couturiers les plus influents de son époque, il fit ses premières armes chez Doucet, dont il partageait également l’amour de l’art et de la collection.

Dans son deuxième livre de souvenirs paru en 1932, intitulé Revenez-y, le couturier Paul Poiret s’interrogeait :«Méritais-je de donner ainsi une empreinte à mon temps ?» Lors de sa période de gloire, c’était indiscutablement le cas, tant il avait marqué ses contemporains aussi bien par ses audacieuses créations que par des soirées inoubliables dont il était l’ordonnateur. «La Mille et deuxième nuit», la somptueuse fête sur le thème de la Perse qu’il organise le 24 juin 1911, dans son hôtel particulier du 107 rue du Faubourg Saint Honoré,marquel’apogée de « Poiret le Magnifique », l’un des créateurs les plus célèbres de son temps, aujourd’hui un peu oublié.

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Paul Poiret, marque de fabrique, 1911, sur un modèle conservé au Metropolitan Museum, New York, 1983.8a, b.

Paul Poiret, de son vrai nom à l’état civil Paul-Henri Poiret, est né à Paris le 20 avril 1879. Devenu dessinateur de mode il est embauché chez Jacques Doucet, fondateur d’une des premières maisons de haute couture parisienne, en 1898, où il resta jusqu’en 1901. La bibliothèque de l’Institut national d’histoire de l’art, dont Jacques Doucet fut à l’origine, conserve d’ailleurs dans ses archives, quelques documents concernant Poiret et Doucet.Il travaille par la suite chez Worth, autre grand couturier de l’époque, d’origine anglaise et installé à Paris.

En 1903, il fonde sa propre maison, rue Auber, et se rend célèbre en habillant notamment la célèbre comédienne Réjane (1856-1920). Son style détonne, marqué par l’orientalisme alors très en vogue, et son «manteau-kimono» est fort remarqué.

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Thérèse Bonney, Paul Poiret photographié avec le mannequin Renée dans les salons de sa maison de couture, 1927, photographie positive par l’ARCP d’après le négatif. © The Bancroft Library, University of California, Berkeley / Thérèse Bonney / BHVP, cote : NN-006-02706.

Marqué par le succès fabuleux des ballets russes de Diaghilev, il s’en inspire pour ses créations, comme celle-ci , créée pour la fête de « la Mille et deuxième nuit» :


Paul Poiret, Fancy dress costume, 1911. Metropolitan Museum of Art, New York, 1983.8a, b.

Précurseur, il est avec la couturière Madeleine Vionnet (1876-1975), le premier à libérer la femme du corset en 1906, en privilégiant les tailles hautes. Pionnier encore, il est le premier couturier à diversifier ses produits en lançant un parfum à son nom, en 1911, «Les parfums de Rosine», du nom de sa première fille. Cette même année, il se lance dans les broderies et les imprimés avec «Les ateliers de Martine», du nom de sa deuxième fille. À cette occasion, il collabore avec ses amis artistes – il était aussi un grand collectionneur – comme le peintre Raoul Dufy (1877-1953)ou l’illustrateur Joseph-Paul Iribe (1883-1935) considéré comme un des initiateurs du mouvement de l’Art déco et qui fut le compagnon deGabrielle Chanel.

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Extrait de Les robes de Paul Poiret racontées par Paul Iribe, 1908. Document numérisé consultable sur Internet Archive.

Les femmes les plus illustres se pressent pour porter ses créations qui font scandale, comme une autre de ses inventions, la jupe-culotte. Son épouse, Denise, ici en 1919 photographiée par Man Ray, devint la première ambassadrice de son mari, portant ses créations, vite imitée par les femmes en vogue de l’époque.

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Delphi, Denise Poiret, tirage photographique, 1919. Collections du Palais Galliera, GALK 3978.

Son hôtel particulier est le théâtre de fêtes somptueuses, Maurice Sachs dans son ouvrage de 1939 Au temps du bœuf sur le toit s’en souvenait: «L’endroit le plus amusant, le plus joli de Paris c’est l’Oasis; un théâtre dans le jardin de son hôtel particulier des Champs-Elysées; […] Poiret a l’œil de langouste, la barbe de François Ier, le faste un peu oriental; il s’amuse et amuse Paris. »

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Thérèse Bonney, Paul Poiret photographié avec le mannequin Renée et son tailleur Christian dans les salons de sa maison de couture, 1927, photographie positive par l’ARCP d’après le négatif. © The Bancroft Library, University of California, Berkeley / Thérèse Bonney / BHVP, cote : NN-006-02707.

Ces festivités où se presse le tout-Paris lui valent le surnom de «Poiret le magnifique». Ainsi, lors du Bal rouge et violet à l’Opéra de Paris, le 25 juin 1921, «Poiret avait fait des robes Velasquez cerise et or, des robes Borgia violet et or, jeté partout des étoffes persanes, des dalmatiques à palmes d’or» (Maurice Sachs, Au temps du bœuf sur le toit, 1939).

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Paul Poiret, Robe Sabat, 1921. Metropolitan Museum of Art, New York, 2009.300.3360.

Cependant, au début des années 20, son style flamboyant n’est plus en phase avec une époque où la femme devenue «garçonne» privilégie le confort et une certaine forme de simplicité; Gabrielle Chanel dite «Coco» (1883-1971) en deviendra la figure de proue. La maison Poiret connait dès 1923 ses premières difficultés financières et finit par fermer en 1929, définitivement balayée par le krach boursier.

En 1930, surnommé le «King of Fashion» il donne une série de conférences aux États-Unis. Ce sont ses derniers feux. En 1931, Poiret décide de se retirer dans le sud de la France et publie ses mémoires En habillant l’époque.

La seconde guerre mondiale le mènera à un nouvel exode et, en 1942, il s’installe en Creuse, à Gouzon, sans que l’on en connaisse la raison. Là, on se souvient de lui comme d’unpersonnage baroque et flamboyant, vêtu dans un style oriental, d’une robe de chambre de velours rouge et coiffé d’un turban qui fut l’emblème de sa marque. L’homme ne passait pas inaperçu, dans le monde paysan qui l’entourait; alors ruiné il payait ses locations temporaires ou chambres d’hôtel au moyen de tableaux ou dessins. Il y resta deux ans et peignit de nombreux paysages de la campagne creusoise. Il finit par rejoindre Marcillat-en-Combraille dans l’Allier et meurt à Paris, ruiné et oublié, le 30 avril 1944. Il est enterré au cimetière de Montmartre.

Postérité

Le Musée des Arts Décoratifs qui conserve de très nombreuses pièces de Paul Poiret dans ses collections (robes, costumes, perruques, dessins…) donne accès à de nombreux visuels dans son catalogue en ligne.

En 1986, le musée Galliera lui consacre une exposition, et en mai 2005 le couturierAzzedine Alaia (1930-2017)expose la garde-robe personnelle de Denise Poiret (1886-1982) dans la galerie de sa maison de couture, sous le titre La Création en liberté. À Drouot, la vente-événement qui suit cette expositionvoit se disputer les plus grands musées pour des trésors vendus par la petite-fille du couturier; un manteau d’automobile créé en 1914 s’envola s’envole ainsi au prix de 131 648 €! Il s’agit alors d’un record mondial pour un vêtement de haute-couture.

LeMetropolitan Museumde New York y acquiert de nombreuses pièces qui lui permettront d’organiser l’exposition qui le remettra en pleine lumière. En 2007, le musée new-yorkais ouvre ainsi la première rétrospective d’envergure, intitulée Paul Poiret: Le Magnifique (Paul Poiret: King of Fashion). Cette exposition voyage ensuite auKremlinen Russie en 2011 pour célébrer le centenaire de la visite de Paul Poiret àMoscouetSaint-Pétersbourg. Le Met conserve encore aujourd’hui de nombreuses pièces créées par le couturier ainsi que une qu’une partie de ses archives personnelles.

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Paul Poiret, Irudree, 1922. Metropolitan Museum of Art, New York, 2007.146.

En 2013, c’est au tour duMusée international de la parfumerieàGrassede lui dédier une exposition, centrée sur son travail de parfumeur. Un groupe de luxe sud-coréen décide en 2015 de faire renaitre la marque et en 2018, pour la première fois depuis 90 ans, une collection Poiret est présentée à Paris.

Outre les ouvrages disponibles dans ses collections, la bibliothèque de l’Institut national d’histoire de l’art conserve dans ses fonds d’archives trois lettres dactylographiées et signées adressées à René-Jean, collaborateur de Jacques Doucet à la Bibliothèque d’Art et archéologie (Autographes 194,27), et quelques écrits en rapport avec ses relations mondaines ou amicales, notamment André Dunoyer de Segonzac et Jean-Émile Laboureur (Autographes 200,9, Autographes 142,19, 69).

Nicolas Ghesquière disait de Poiret au moment de la rétrospective présentée à New York en 2007: «Poiret était […] une force inventive exceptionnelle, un designer qui a matérialisé le monde des idées à travers le métier sensuel de la robe…»

Quelle meilleure formule pour rendre hommage à celui qui disait « Le créateur n’est pas un directeur mais un visionnaire»?

Stéphanie Fournier, service du Catalogue

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